Aux Antilles françaises, et particulièrement en Martinique, le mois de mai est riche en commémorations. Le premier temps fort – des points de vue historique, culturel et patrimonial – étant bien entendu le Mémorial du 8 mai 1902, date de l’éruption volcanique la plus meurtrière en Martinique. À l’occasion des 120 ans du Mémorial, Fabrice FONTAINE, Directeur de l’Observatoire Volcanologique de la Martinique, nous a fait l’honneur de répondre à nos interrogations. Madame Pelée, comment allez-vous ? Avons-nous du souci à nous faire actuellement ? Sommes-nous bien protégés en cas de nouvelle catastrophe naturelle ? Fabrice FONTAINE nous en parle.
Le discours d’un scientifique, une lecture avisée
Sans aucune prétention de ma part, certains d’entre-vous auront peut-être du mal à comprendre certains sigles non explicités et certaines notions utilisées par Fabrice FONTAINE. Pas de panique, vous les trouverez en bas de lecture. 😉⏬
Comment se porte notre chère Madame PELÉE ?
Bonjour Monsieur FONTAINE et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous aimerions parler avec vous de notre chère Madame Pelée. Mais avant tout, faisons un focus sur vous.
– Comment devient-on Directeur d’un observatoire volcanologique ? En d’autres termes, pouvez-vous nous raconter, en quelques lignes, votre parcours ?
-J’ai préparé une licence à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, puis une maîtrise, un DEA et un doctorat en géophysique à l’Université Montpellier II. Lors de ma thèse, dans le cadre d’une étude sur les Galápagos, j’ai effectué cinq mois à l’Université d’Oregon. Enfin, j’ai effectué un post-doctorat en sismologie dans une université australienne : The Australian National University (Canberra) et j’ai obtenu en 2016 une habilitation à diriger les recherches. Mon domaine de prédilection est la sismologie. De septembre 2009 à août 2020, j’étais maître de conférences à l’Université de La Réunion dans le Laboratoire GéoSciences Réunion et membre de l’équipe Systèmes Volcaniques de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP). J’ai pris mes fonctions le 1er septembre 2020 comme nouveau directeur et responsable scientifique de l’Observatoire Volcanologique et Sismologique de la Martinique (OVSM) de l’IPGP.
Revenons maintenant au vif du sujet, la Montagne Pelée.
– Quel âge aurait-elle environ ?
– L’âge estimé de ce volcan est de 550 000 ans.
– Serait-elle aussi âgée que la création de notre île, la Martinique ?
– La Montagne Pelée n’est pas la partie la plus ancienne de la Martinique. En effet, les parties les plus anciennes de l’île sont situées à La Caravelle et à Sainte-Anne et elles sont datées entre 21 et 25 millions d’années.
– Actuellement, comment se porte notre Chère Pelée ?
– Nous assistons, depuis avril 2019, à une réactivation sismique, associée à des émanations diffuses de CO2 à travers le sol qui témoignent d’un changement de comportement significatif du système hydrothermal-magmatique de la Montagne Pelée, dont l’évolution peut suivre différents scénarios qu’il est impossible de prévoir avec certitude, ce qui impose une vigilance scientifique et sociétale accrue.
– En quoi est-elle différente des Pitons du Carbet ou de la Montagne du Vauclin ?
– La Montagne Pelée est actuellement le seul volcan actif de la Martinique et sa formation est plus récente que celle des Pitons du Carbet qui a probablement débuté entre 1 et 2 millions d’années. La Montagne du Vauclin, quant à elle, est encore plus ancienne. La chaîne Vauclin-Pitault est âgée de 8 à 16 millions d’années.
– Afin de vérifier son état de santé, et au regard de la population, quels sont les indicateurs sur lesquels vous vous basez au quotidien ?
– Nous nous basons sur plusieurs paramètres comme par exemple :
• le nombre de séismes et la magnitude des différents types de séismes volcaniques, nous permettant d’évaluer l’énergie sismique libérée ;
• la localisation des séismes ;
• la migration de la sismicité dans l’espace mais aussi en profondeur ;
• le type de séisme et leur contenu fréquentiel qui reflètent s’ils correspondent à des processus de fracturation des roches (séisme de type volcano-tectonique avec des hautes fréquences), ou par exemple à la circulation de fluides volcaniques (sismicité avec des basses fréquences) comme le gaz, l’eau, ou le magma en surpression à l’intérieur de l’édifice volcanique. Actuellement, il n’y a pas d’observations qui indiquent que du magma remonte dans l’édifice volcanique de la Montagne Pelée ; • l’apparition de nouveaux types de séismes volcaniques ;
• si la sismicité volcanique est ressentie ou pas ;
• la détection de la déformation de l’édifice (ce qui n’est pas le cas actuellement) ;
• le niveau des aquifères dans le volcan ;
• le suivi de fractures en surface ;
• le suivi de multiples paramètres des sources thermales tel que le pH, la conductivité, la température et la composition ;
• la concentration, le flux et la composition du dégazage diffus du sol ;
• la présence de zone de végétation dégradée et morte ;
• l’apparition de fumerolles et leur composition chimique (ce qui n’est pas le cas actuellement) ;
• la variation de débit des sources thermales ;
• les éboulements sur les pentes du dôme de 1929-1932 ;
• l’odeur nauséabonde (d’H2S) ressentie au niveau de zones habitées et le noircissement de l’argenterie à proximité du volcan (ce qui n’est pas le cas actuellement).
– À partir de quels indicateurs estimeriez-vous un quelconque danger pour la population martiniquaise ?
– En cas de forte et rapide augmentation, voire augmentation exponentielle de paramètres observés tels que les paramètres suivants :
• augmentation de la sismicité volcanique ressentie ;
• augmentation de la sismicité de basse-fréquence ;
• apparition d’une connectivité dans la localisation des séismes entre la surface et les zones de stockage magmatique ;
• augmentation du nombre et de l’intensité des explosions phréatiques ;
• fort gonflement de l’édifice volcanique détecté à partir des capteurs de déformations (source profonde, migration de la source vers la surface) ;
• variation anormale du niveau d’eau des forages ;
• anomalie thermique du sol ;
• augmentation de la température des fumerolles ;
• apparition d’un dégazage en SO2 et injection de gaz profonds, variations brutales de flux de gaz ;
• incandescence au sommet et à d’autres zones ;
• développement en surface de fractures et de glissements.
– L’observation des animaux aux alentours entre-t-elle en jeu dans vos analyses ?
– Une explosion phréatique pourrait être responsable de la mort d’animaux, comme cela a été le cas à la suite de l’explosion phréatique de janvier 1792, provoquant la mort de plusieurs oiseaux. Un dégazage important de CO2 par le sol (forte concentration, flux élevé) peut aboutir à une accumulation de ce gaz dans les zones en creux et mal ventilées, ce qui peut affecter la santé des animaux.
– Quels sont les principaux comportements animaliers qui pourraient alerter sur un danger imminent ?
– La fuite de nombreux animaux, au niveau du volcan, pourrait être liée à un changement de l’écosystème de ces animaux. Cependant, son origine est très variable et son occurrence n’est pas forcément associé à un changement de l’activité d’un volcan. Les scientifiques utilisent les données des réseaux de surveillance et la connaissance de l’activité passée et possible pour ce genre de volcan, en utilisant les volcans analogues, car il y a aussi des lacunes de connaissances (phénomènes possibles mais non observés pour le moment).
– En cas de danger, quelles sont les directives à suivre ?
– En fonction de l’aléa volcanique considéré (écoulement pyroclastique, lahars, éruption explosive, projections de blocs, chute de cendres volcaniques), les vidéos du projet international VolFILM, financé par la Banque Mondiale, sont disponibles en plusieurs langues, dont le français grâce à la collaboration de l’Institut de Physique du Globe de Paris. Elles décrivent ces phénomènes et les attitudes à adopter dans le cas d’un lahar ou d’une coulée pyroclastique, de chutes de cendres.
Des fascicules pédagogiques et informatifs en français produits par IVHHN (International Volcanic Health Hazard Network), en collaboration de l’Institut de Physique du Globe de Paris, sont aussi disponibles :
• Guide des mesures préventives à suivre avant, pendant, et après la chute de cendres volcaniques
• Guide pour le public sur les risques des cendres volcaniques pour la santé
– Les communes les plus exposées au risque d’une éruption sont-elles informées des recommandations à suivre ? Existe-t-il, comme pour les tremblements de terre, les cyclones, les tsunamis et autres phénomènes naturels, un programme de mise en situation envers les populations les plus à risque ?
– Effectivement, il existe le plan d’organisation de la réponse de sécurité civile (OrSec) des phénomènes volcaniques de la Montagne Pelée sous la responsabilité du Préfet de la Martinique.
– Il arrive parfois, que des coulées de boue, aussi appelées lahars, soient observées au Prêcheur. Comment devons-nous interpréter ces manifestations ? Sont-elles dangereuses pour la population avoisinante ?
– Ce terme, d’origine indonésienne, désigne une coulée boueuse avec des débris de roches volcaniques de toutes tailles ainsi que de la boue. Les lahars se forment rapidement, ils empruntent les vallées et grossissent en érodant le matériel dans la vallée et lors de la confluence avec d’autres rivières. Les lahars peuvent représenter une menace pour la population avoisinante. Ils peuvent se former en relation avec une éruption (avant, pendant, après) ou sans aucune relation avec l’activité éruptive (comme actuellement dans la Rivière du Prêcheur). La rivière du Prêcheur est équipée d’un système de détection automatique des lahars. Ce dispositif est constitué d’un système principal qui comprend trois géophones et d’un système secondaire de détection des coulées les plus fortes à base de capteurs pendulaires. Ces capteurs ont été installés par l’observatoire à la fin de l’année 1999, suite aux coulées de boues de janvier 1997 et 1998, en s’inspirant de systèmes existants dans d’autres observatoires volcanologiques, comme celui opéré par l’USGS sur les volcans des Cascades aux États-Unis. En cas de lahar provoqué par la remobilisation de dépôts sédimentaires générés par un ou plusieurs éboulements antérieurs – au niveau de la falaise Samperre – ce système déclenche automatiquement la sonnerie d’une sirène dans le bourg du Prêcheur.
– En conclusion, quels seraient les mots de la fin ?
– Ce volcan est aujourd’hui observé par plusieurs réseaux modernes de surveillance de l’Observatoire Volcanologique et Sismologique de la Martinique appartenant à l’Institut de Physique du Globe de Paris. Bonne nouvelle pour nous scientifiques, mais aussi pour la population : la connaissance de son passé éruptif et des processus volcaniques a très fortement augmenté ces dernières décennies. Cet observatoire est l’un des trois observatoires volcanologiques français (l’Observatoire Volcanologique et Sismologique de la Martinique, l’Observatoire Volcanologique et Sismologique de la Guadeloupe et l’Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise). Tous les trois font partie de l’Institut de Physique du Globe de Paris. Avec son Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise, l’IPGP opère aussi, depuis 2019, le REVOSIMA (Réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte), en co-responsabilité avec le BRGM, et en partenariat avec l’IFREMER, le CNRS, et de nombreuses universités et instituts, au sein d’un consortium.
Au nom de Martinique Airlocal, je vous remercie de votre disponibilité et implication, et vous souhaite une bonne continuation dans vos recherches.
Petit lexique
Vous ne comprenez pas un sigle ou une notion ? Vous êtes au bon endroit. 😊
DEA • Diplôme d’Études Approfondies
OVSG • Observatoire Volcanologique et Sismologique de la Guadeloupe
OVPF • Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise
CO2 • Dioxyde de carbone
PH • Potentiel hydrogène
H2S • Hydrogène sulfuré
SO2 • Dioxyde de soufre
USGS • United States Geological Survey (Institut d’Études Géologiques des États-Unis)
BRGM • Bureau de Recherches Géologiques et Minières
IFREMER • Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer
CNRS • Centre National de la Recherche Scientifique
Fumerolle ou fumerole• Émanation de gaz s’échappant d’un volcan.
Explosion phréatique • Explosion volcanique caractérisée par l’expulsion violente d’une importante masse d’eau du sol sous la forme d’explosions. Conséquence, la formation d’un panache volcanique contenant exclusivement de la vapeur d’eau, de fines gouttelettes d’eau condensée et éventuellement des gaz volcaniques.
Pyroclastique • Se dit d’une roche formée de projections volcaniques (mélange de gaz volcaniques, de vapeur d’eau et de particules solides à haute température).
Géophone • Capteur enregistrant et/ou mesurant la vitesse des vibrations sismiques ou micro-vibrations à travers le sol. Cet outil est différent de l’accéléromètre et du sismomètre (capteur des mouvements du sol).
Cet échange a été très fructueux. D’une part, je suis revenue sur les bancs de l’école 👩🏽🎓📚. Ayant suivi un parcours littéraire, et je ne vais pas vous mentir, il y a des notions que je n’avais plus en tête ou qui me paraissaient très lointaines #TeamLEtesVousLa. D’autre part, et même si je suppose qu’en cas de catastrophe de ce genre, ce sera le bowdel assuré 😱, un peu comme dans tous les films d’actions sur la fin du monde, je suis quand même contente de voir qu’il y a des avancées et des outils de mesures pour nous alerter 😌.
J’ai même l’impression d’être plus protégée à ce niveau-là que concernant l’empoisonnement au chlordécone ou tout se qui se passe actuellement.
Enfin bref 😏, je retourne dans mon monde des Bisounours. ⛅🌟🌈💖
À bientôt.
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